INTRODUCTION
Ce n’est un secret pour personne depuis qu’une certaine voisine, dont je tairai le nom ici, en a ouï la rumeur, mais les deux tiers des enfants du chef de chorale du paisible village de Malonne ont divorcé. Eva, la sœur ainée a vécu deux fois l’expérience du mariage et du divorce, chose que je ne recommande à personne, pas même à mon contrôleur fiscal s’il existait. Nicky, la sœur cadette n’a subi qu’un divorce pour l’instant et j’espère qu’elle en restera là. D’après les statistiques[1], la Belgique voit quatre divorces pour cinq mariages. Bientôt, l’Etat devra payer les couples pour qu’ils se marient de manière à pouvoir réaliser des divorces. Car à ce train et avec la nouvelle loi sur le divorce, ils vont bientôt manquer de matière première. Emmanuel, l’enfant du milieu (mais non pas ce milieu là), l’héritier du nom, résiste au divorce vu le coût de l’opération, vu l’investissement du mariage et surtout vu l’amour qu’il porte à sa tendre et chère épouse.
Quand Nicky a divorcé et déménagé, j’ai eu envie d’écrire quelques souvenirs à son sujet. Me remémorer les parcelles d’histoires heureuses, les fragments jouitifs de nos jeux d’enfants. Cette collection de séparations que commencent mes sœurs et mes amis ne me laisse pas indifférents. C’est la raison pour laquelle je désire commencer cet écrit par quelques lignes sur le mariage et sa suite peu logique qu’est le divorce.
Avant le mariage, le conjoint est l’être suprême, le chaînon manquant à notre bonheur personnel. Une fois marié, notre égo voit ce dernier autrement : les bruits de gorge émis périodiquement durant le sommeil commencent à déranger, les petits baisers dans le coup se raréfient, le bouquet de fleur passe de l’hebdomadaire au mensuel puis à l’annuel, le Oui ma puce devient Hum Hum ! L’émotionnel et le rationnel commencent à se découvrir, la confiance et la reconnaissance vont devoir s’apprivoiser[2]. Après le passage des cigognes, la récolte des choux et la cueillette des roses, le couple parental supplante le couple conjugal. Le temps passe et ces petits détails auxquels on pensait s’habituer prennent parfois le dessus et créés une distorsion de la réalité. La décision de la rupture bête et trop souvent brutale est alors plus proche qu’on le voudrait même dans nos rêves les plus sombres. Trop souvent les critiques que l’on vous faisait à l’époque de la fusion, justifiés ou non, vous les laisser tomber lors de la fission du couple. Vous rangez votre linge sale, vous passez à l’aspirateur, vous rangez la table, vous rincez la baignoire et vous ramassez vos cheveux dans l’évier, vous parvenez à parler d’autres choses que de votre travail ou du foot. Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
Votre conjoint reçoit alors le titre de mon ex. Il devient le côté noir de la force, la personne qui supporte en totalité ou en grande partie le poids de l’échec de votre union. Vous évitez de penser à lui et aux moments heureux vécus ensemble. Mais devons-nous oublier ? Pourquoi vouloir nous obliger à mettre au tiroir certains évènements de notre vie ? Je parle ici des moments de bonheur avec ces ex dont on ne peut plus parler en famille. Devons-nous regretter ces instants de joies avec le père ou la mère de nos enfants ? Devons-nous avoir honte du que vont dire les voisins ? Est-il possible d’avoir été amoureux sans être heureux ?
Personnellement, c’est la même femme que j’aime depuis plus de 15 ans, mon Dieu si Caro l’apprend ! Je plaisante. Bien sûr la personne qui vous dira qu’une fois marié, c’est le bonheur intégral, le Nirvana de la vie à deux. Assurément, cette personne n’a jamais été mariée. Certains considèrent le mariage comme le moyen de résoudre des problèmes qu’on n’aurait pas eu si on était resté tout seul. Mais le mariage comme son nom l’indique est une association entre deux personnalités, entre deux passées parfois forts différents, entre deux familles, deux groupes d’amis. Ne vous m’éprenez pas, je suis heureux avec Caro, mon épouse devant Dieu et devant les hommes et les femmes de bonne volonté, devant les autres aussi d’ailleurs et j’ose espérer que c’est réciproque.
Petit, je rêvais d’être une personne de qui on dirait en la voyant : Dieu est vivant. Grand, j’espère former un couple de qui on peut dire en le voyant : l’Amour est possible. Si l’Amour est le ciment du couple, Dieu son architecte et vous les entrepreneurs, toute construction rencontre des problèmes un jour ou l’autre, un couple heureux est un couple qui sait reconnaître les conflits lorsqu’ils se présentent et essaye de les gérer par la communication au moment qu’il convient. La communication, le dialogue cela signifie écoute et parole dans un sens comme dans l’autre. Depuis que j’ai dit oui à Caro, près de 13 couples de nos connaissances, presque tous présents à notre mariage, se sont séparés. Je reste persuadé qu’ils n’ont pas communiqué à temps, qu’ils ne se sont ni confiés ni révélés l’un à l’autre. Certains voulaient garder leur indépendance de célibataire ou d’amant dès l’arrivé du premier descendant fruit, en théorie, d’un amour réciproque.
Si je dois dire que Caro a toujours facile avec moi et mon caractère, alors je dois le dire vite pour ne pas mentir longtemps. J’avoue que je ne vais pas toujours chez IKEA avec joie et allégresse : déguster un cappuccino, le petit pain et l’œuf à la coque pour une somme digne des meilleures soldes, admirer les espaces de 33 m² dans lesquels vous ne savez pas étendre un bras sans heurter un cadre ou un bibelot, se promener dans les allées parsemées d’idée pour jeunes de 7 à 77 ans tout en gardant un œil sur Romain qui est déjà trois allées plus lois à la recherche d’un ordinateur, dénicher la trouvaille au coin des bonnes affaires de manière à remplir l’espace libre entre le fauteuil trouvé la semaine précédente et la commode que la caissière avait oublié de pointer trois semaines avant. En un mot ikéer de 10 heures à 17h00, c’est un peu beaucoup. J’intercale dans ce timing le passage par ALDI, LIDL et je pousse parfois le délice par TRAFFIC. Il est vrai que Caro a ses défauts, du moins je le présume car personne n’est parfait. Mais j’ai du mal à les trouver. Cependant, lorsque je la regarde sourire les cheveux dans le vent, lorsque nous avons ces gestes, ces regards de tendresse, ces moments d’infini bonheur, ces parcelles de paradis, oui je me dis que l’amour, que la vie à deux est une réalité qui vaut la peine d’être vécue et j’encourage tout le monde à la vivre. Le secret de ma réussite tient en deux choses. La première est que Caro et moi aimons la même femme : Caro. La deuxième est que j’ai toujours le dernier mot : amen.
Le but des lignes ci-dessous qui suivent celles qui les précèdent (vous suivez ?) n’est pas de réaliser une litanie sur le mariage ou le divorce. Non, rien de si compliqué. J’en laisse le savoir-faire à ma sœur Eva qui sait si bien prêter la forme et le fond à ces choses de la vie. C’est de certaines petites choses qui font une vie dont je désirerais vous entretenir. Petits détails anodins, une phrase enregistrée dans une parcelle de mon hémisphère droit réservé aux émotions, une lettre, une question, un jeu. Mon but est juste de relater par plaisir personnel toutes ces bribes de mémoires que j’ai en commun avec la cadette de la famille[3] dans l’espoir de faire au moins bouger un peu les muscles zygomatiques des personnes qui prendront la peine de lire les quelques feuilles qui suivent. Car en plus de la communication qui manque tant aux couples actuels, passés et futurs, il manque aussi une bonne dose de relativité et d’humour. Alors ne vous ménagez pas et n’hésitez pas à vous laisser aller d’un sourire même si vous ne savez pas pourquoi.
Juste pour le plaisir.
AVANT-PROPOS
Au moment où j’ai commencé ces lignes Mathusalem était adolescent et ma sœur et mon beau-frère rentraient dans la normalité de notre époque avancée et progressiste : ils avaient décidé de se séparés. Certains rentrent dans les ordres, eux, ils sortaient du désordre.
Mon paternel, vénérable patriarche, avait pourtant passé notre enfance à nous inculquer les principes de la famille, principes qui ont été testés et approuvés depuis plus de 43 générations comme le prouve les multiples branches de notre arbre généalogique. Ma sœur vous ressortira un proverbe élaboré par son Père : « les principes, c’est comme les pets, il faut que ça sorte »[4]. Et pourtant je me rappelle de ces rencontres père-fils dans son sacro-saint bureau, haut lieu de la réflexion locale et familiale. L’antre paternel était isolé du monde par deux grandes portes imposantes dont la distance qui les séparaient devait servir à vous remettre en question, à vous dire que celui qui habitait ces lieux avait toujours raison même s’il avait tort, même si lui-même l’ignorait[5]. Outre le piano où il ne faisait pas que dorer la sole (DO RE LA SOL), la machine à écrire était l’un des objets que mon père connaissait sur le bout des doigts ce qui pour un intellectuel était une performance digne du Guiness Book.
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Si, tout comme l’enfer, la pièce était pavée de bonnes intentions qui étaient protégées par un tapis plein pour ne pas être souillées par des pieds païens, les murs étaient, eux, couverts d’une multitude de livres relatifs à des sujets dignes d’une bonne famille catholique. Cet dans cet univers que les deux hommes de la maison se retrouvait pour communiquer selon la méthode Gordon[6] où le plus sage parlait et où l’héritier du nom écoutait. Les trois principes de la base éducationnelle de mon père étaient : « famille, famille, famille ». Tous ces gestes, remarques et jusqu’à ces plaisanteries étaient axés autour de ces trois principes. Je ne sais pas les conversations que mon père a eu avec mes sœurs, mais il a du être moins convaincant car Matthieu et Véro étaient arrivés à un stade de leur vie de couple où leur famille n’avait de famille que le nom. Ils ont remarqué que vivre séparés dans une même maison n’était pas chose aisée. Ma sœur a donc laissé la demeure familiale au géniteur de ces enfants et elle est partie à la recherche d’un toit posé sur quelques murs tout en conciliant une logistique pratique (boulangerie, fritures et distributeur de coca) avec une logistique économique (la distance maison-école devait être la plus petite possible pour économiser les semelles des enfants, de plus le temps passer à entretenir les surfaces utiles du logis devait permettre de fumer une cigarette supplémentaire le jour des grandes eaux). Elle a donc trouvé un nouveau logement proportionnel à ces revenus : petit.
LE LOGEMENT
Ce qui frappe lorsque l’on entre chez ma sœur c’est qu’on est chez soi. En tout cas on se sent chez soi de par l’accueil inculqué par une mère qui le tenait de sa mère qui elle-même la tenait de la fille de sa grand-mère. Cet esprit chaleureux avait été cultivé, pasteurisé, travaillé sans relâche par des générations de femmes au foyer soumises et dévouées à leur mari, leurs enfants et donc à leur famille : le sourire franc et direct, le verre de l’amitié souvent sponsorisé par Coca-Cola, la chaleur de la cigarette qui n’était pas encore considérée comme une tueuse en série.
Après l’accueil, c’est le cachet personnel qu’elle a réussi à donner à une maison sans caractère et dont le montant du loyer, lui, avait un cachet non négligeable. Elle utilise le moindre recoin de la maison pour y placer des œuvres d’art sorties de son imagination, façonnées par ses mains ou créés par un de ces merveilleux enfants. Car il s’agit d’une famille d’artistes, méconnus certes, mais artistes quand même. Car chez ces gens-là, Monsieur, on crée, Monsieur, on crée sans compter car ils n’ont pas le sens du lucratif mais du créatif. Ils créent sans compter et les comptes n’étaient pas toujours à la hauteur espérée.
La première pièce à gauche en entrant a la particularité d’être aussi la dernière à droite en sortant. Cette singularité ne rend pas la pièce plus grande pour autant. Cependant, vous y découvrez émerveillé que ma sœur a réussi à y faire tenir le bureau de sa cadette Claire, un atelier de création et son bureau. Un bureau, que dis-je un souk, une bimbeloterie, un bastringue, un bazar, un refuge pour tout bric-à-brac qui se respecte un tant soit peu. Celui-ci à lui tout seul mérite le déplacement et une place dans un musée d’avant-garde. Dans ce village de Malonne célèbre pour avoir une église avec six clochers et cinq sans cloches[7], ma sœur possède un bureau avec mille et un tiroirs tous remplis de divers objets : perles, ficelles, boules, trucs, bazar et même des machins. Tous ces objets d’apparence anodine caressent l’espoir d’être un jour ou l’autre les élus d’une création unique et scandaleusement onéreuse. Ils espèrent tous être montrés fièrement dans tous les salons dignes de ce nom car ils porteront un jour la griffe de ma sœur, la marque enviée par tous les bijoux de vitrines coûteuses. Ils porteront l’étiquette de Vis ta vie. A la fois marque de qualité et doctrine de vie. Mon père aurait choisi Carpe Diem mais c’est mon père.
Les personnes bien élevées passent par le couloir pour rejoindre le salon feutré la tête remplie des images des chefs-d’œuvre exposés dans ledit vestibule. Il va sans dire que les personnes mal élevées été priés de passer leur chemin. Certains médiront sur le corps de métier qui a laissé sur le mur des traînées colorées de mousses expansives, que ces mauvaises langues tournent la leur septante sept fois sept fois tout en admirant ce qu’il convient d’appeler une œuvre d’art. Si la mousse rose avait été deux millimètres plus épaisse ou que le rose eu été rose à tendance mauve, je ne dis pas … Car moins on y connaît et moins on y comprend, au plus l’art porte ses lettres de noblesse au firmament de la culture c’est-à-dire à un niveau inaccessible aux incultes de mon espèce qui prêche plus le rationnel que l’émotionnel. Dans ce genre de domaine en tous cas.
Le salon est unique en son genre. Conventionnel je vous l’accorde. Mais en apparence, en apparence seulement. Car dans le salon il y a un mur qui n’a rien à voir ni de près ni de loin avec son confrère des lamentations mais dans lequel certaines briques ont été omises de manière tout-à-fait volontaire pour qu’en finalité une porte semblable aux autres portes donne accès à une pièce non pas d’art mais d’eau. C’est en effet là qu’un architecte du genre on-ne-sait-comment-il-a-eu-son-diplôme a placé la salle de bains. Le salon contient tant de meuble que la famille évite de s’y retrouver au complet après avoir mangé des phaseolus vulgaris ou autre fayot de même acabit de peur de provoquer une expansion de la pièce de manière irréversible. A côté du tube cathodique de la télévision qui propose des émissions pas très catholique, les meubles abritent dans un ordre chaotique des sculptures de tailles aussi diverses que les cotations du sucre à la bourse de Pékin en hiver, des bédés en noir et blanc où l’on en voit de toutes les couleurs, des cassettes vidéo de films dont les réalisateurs n’ont du recevoir des oscars que dans leurs rêves, des DVD dont même les critiques n’ont pas écrits une ligne sur leur contenu. Véro est une fervente partisane de la baby-sytter des temps modernes. Elle ne compte plus les nuits blanches à se démettre la mâchoire sous le mouvement incontrôlé de ces zygomatiques devant un film d’horreur, les murs gardent jalousement les éclats de rires incrustés dans leurs briques à chaque rediffusion de la grande vadrouille ou autre classique de ce genre.
La cuisine est plus petite que le jardin de mon Paternel mais plus grande que le couvre-chef qu’il arborait à l’époque reculée de mon enfance, à cette époque le feutre couvrait à la fois le chef et les cheveux qu’il arborait comme dans les publicités pour lotions capillaires, maintenant il ne couvre plus que le chef. La pièce est insuffisante pour l’usage que ma sœur en fait : lieu de préparation de divers repas sustentatoires dont chacun d’eux étaient une création à part entière enfourné rapidement par des gosiers connaisseurs, lieu aussi de bricolages de tout style en famille ou en solitaire, lieu de rencontres entre copines où rumeurs et ragots s’échangent facilement sans penser au purgatoire bien lointain, mais pour une fois que ce n’est pas vous qui êtes le héros d’un quand dira-t-on de bas quartier.
Faites attention à l’escalier du hall, principalement à l’avant dernière marche, car cet escalier possède une marche après celle sus citée tant dans la montée que dans la descente. J’ai réussi à y voir, sans champignons hallucinogènes, Monté Carlo (monté Carlos).
La chambre de ma sœur étant intime je ne la décrirai pas en détail. Elle juste assez grande pour permettre à un professionnel d’IKEA de monter un lit double sans avoir à pousser plus de 45 jurons.
La chambre de mes nièces est une pièce dont l’aménagement a perturbé la logique légendaire de l’oncle du cousin du tonton de la fille de ma sœur, c’est-à-dire mon vénéré paternel. Plutôt que de placer les lits perpendiculairement aux murs (ce qui est quand même plus facile que le contraire) et parallèlement aux armoires à l’image des alcôves de l’internat chers aux souvenirs du Papy de mes nièces, ma sœur et ces filles ont organisées cette chambre de telle sorte qu’elle pourrait servir au tournage d’un Indiana Jones tant son architecture se situe entre un jeu de l’oie, un labyrinthe de Pac Man ou à la logique de pensée de l’auteur de ses lignes.
Les choses simples s’énoncent clairement et les mots pour le dire viennent aisément. Une telle phrase s’applique sans conteste à la chambre d’Arthur. Elle est simple, propre, nette et parée de livres. Il n’y manque qu’une une volière. Peut-être. Le grand-père d’Arthur envie à la limite de la convoitise digne d’un Santa Dallastie, la tignasse qui orne la tête de mon neveu préféré et il se remplit d’un orgueil capable de remplir à lui tout seul le tonneau des Danaïdes depuis qu’Arthur tente de suivre des cours de grec sous sa direction.
Le grenier ne mérite pas encore son nom. Pas le moindre fantôme, ni même une toile d’aranéide bien de chez nous. Pas une seule malle de déguisement, pas de boîtes à souvenirs, pas le moindre album de photos. Il est aussi vide que le contenu de certains discours politique.
Le jardin est aménagé avec des plantes aromatiques qui vous rappellent la Provence, la Garrigue et l’accent savoureux dont mes oreilles ne se lassent pas. Ces plantes tiennent compagnie à ce qui tient lieu d’appeler un palmier qui vous donne l’illusion d’être en vacances pour autant que vous vous y promeniez avec une lampe solaire sous votre parapluie lors d’une éclipse les yeux fermés derrière vos lunettes de soleil et l’esprit ouvert à la moindre muse exotique. L’espace territorial délimité de manière politico-scientifique par le cadastre local à l’époque coloniale compense son étroitesse par sa longueur. Une paire de jumelle n’est pas indispensable pour en distinguer le fond, mais cela peut aider. Une volière faite maison maintient une petite colonie de volatiles à l’Est de cet Eden. Le Paradis en quelque sorte.
Espérer placer tous les meubles de ma sœur dans cette maison revient à croire que mon jardin sera un jour exempt de taupes. C’est la raison pour laquelle ma sœur m’a demandé de caser dans ma demeure de manière provisoirement temporaire et pour une durée non précisée : un buffet à tiroirs.
Ce buffet n’a en soit rien de particulier. Il n’est pas d’époque. Il est plutôt quelconque pour un buffet. Il n’est même pas d’IKEA. Vous passeriez plusieurs fois devant sans pour autant le remarquer. Ce qui le fait quand même sortir de l’ordinaire, c’est qu’il est imaginaire sert de support aux lignes qui vont suivre.
LE BUFFET
Alors que je devais, pour une raison quelconque qui n’a aucune importance ici et dont j’ai en plus égaré l’origine, déplacer le buffet de ma sœur décrit à la page précédente, j’ai commencé à ôter les tiroirs de manière que le poids du volume déplacé soit proportionnel à mes capacités car je ne suis pas un Hercule[8].
Pour ma défense, j’estime que la curiosité, pour autant qu’elle ne soit pas malsaine, tient plus d’une approche scientifique que du défaut qui vous conduirait tout droit au confessionnal le plus proche. Je me permets d’introduire ce préambule car lorsque le contenu du deuxième tiroir s’étala devant mes yeux, les données visuelles transmises à ce qui me tient lieu de cerveau réveillèrent au fond de mon hémisphère réservé au non rationnel, des souvenirs merveilleux.
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Ce sont d’abord des rails qui retinrent mon attention. Deux rails de chemin de fer de dimensions normalisées placés sur des graviers le tout adapté aux trains électriques miniatures pour enfants qui aiment les choses qui tournent rond, ce qui est souvent le cas lorsque les parents ont un train-train quotidien bien rodé. Ces rails faisaient jadis partie intégrante d’un circuit dont j’avais plus de plaisir à le monter et à le démonter que de jouer avec. Un jour que le circuit était situé sous la lucarne qui me permettait d’aller bronzer sur le toit ou de rentrer de rencontres autant nocturnes que galantes, ma sœur et moi avions réussi une fois de plus à nous disputer pour une chose qui n’en valait certainement pas la peine. Nos cris ont du atteindre un niveau de décibels suffisant pour que la tête de notre paternel commun passe par la fenêtre. Avant qu’il ne puisse émettre des reproches sur un ton certainement disgracieux à nos oreilles, ma complice et moi-même avons expliqué que la conversation qu’il venait d’ouïr était du au jeu des personnages et non aux 2/3 du fruit de ces entrailles. Nous avons du être suffisamment convainquant car il n’a pas insisté et a continué son travail qui consistait à nettoyer les corniches et le chemin d’accès à la cheminée pour un Père Noël auquel nous ne croyons plus (du moins à l’époque[9]).
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Après avoir récupéré les rails pour les ranger avec leurs collègues dans une vielle valise couverte de poussière dans l’attente d’un fils avec lequel je pourrais à nouveau recréer un univers qui changerait en fonction de ses désirs et de mes humeurs, je suis tombé sur plusieurs papiers chiffonnés sur lesquels était inscrit une phrase quelconque répétée un nombre non négligeable de fois. Ces documents représentaient une punition que ma sœur et moi avions reçue après avoir confondu une fois de trop un magasin et ces caddies avec la piste de Francorchamps (non compris les magouilles, les dessous de table et les politiciens analphabètes). La punition n’a pas donné le résultat attendu, car si vous venez faire des courses dans une grande surface avec ma sœur et moi, je vous conseille de faire comme Eva, ne restez pas sur notre route de peur de vous faire écraser, car les caddies n’ont pas de freins.
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L’espoir de réaliser une pause nutritive à la vue d’un paquet de Mikado oublié mais non périmé fut de courte durée : le paquet était vide. Je ne fus pas déçu car j’y gagnais sur deux tableaux : les courbes de mon anatomie n’allaient pas être trop perturbées et j’étais de facto dispensé de la danse du Mikado. Cette danse avait été créée de manière commune et spontanée par Nicky et moi-même. L’origine de la danse dite du Mikado date du jour où Nicky et moi-même dévorions le contenu d’une boîte de mikado, ces fins biscuits enrobés d’un délicieux chocolat. Pour mon père le seul chocolat valable était celui qui portait sur chacune de ses barres un éléphant, un palmier et trois pyramides, emblème depuis 1906 de la société Côte d’Or fierté du pays depuis le 24 avril 1883 où Charles Neuhaus, un artisan chocolatier crée et dépose la prestigieuse marque par référence à la Côte de l'Or, le Ghana actuel, où il sélectionnait une partie de ses fèves de cacao. Alors le patriote qui sommeillait en lui ce réveilla et nous demanda ce qui était la source d’une telle frénésie. Sans rien dire, je regardais ma sœur et nous nous sommes alors lancés dans une création unique : la danse du mikado. Celle-ci consiste en divers frottements dos-à-dos avec des déhanchés dignes des Caraïbes avec l’avantage non négligeable de manger entre deux refrains un mikado. La danse ressemble vaguement à une de ces danses africaines tout à fait comme chez nous comme aime à dire ma Mère.
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Une feuille de Cyprès bien conservée me rappela que Nicky est une native de ce grand arbre d’après le calendrier celtique. Tout comme lui, elle est avide de soleil et de lumière au point de bronzer dans une tenue qui faisait rougir son frère qui s’empressait alors de placer tout ce qui lui paressait digne de faire un écran entre sa sœur et les yeux de voisins avides d’un spectacle réprimandable à ses yeux. Son signe zodiacal est le lion dont la planète est, cela ne s’invente pas, le soleil. A nouveau lui. Je passais donc mon temps à protéger ma sœur des regards indiscrets, alors que j’aurais du la protéger des regards d’Hélios, car maintenant elle doit éviter le plus possible que sa peau ne soit en contact avec les rayons du fils d'Hypérion et de Basilée.
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D’autres feuilles qui n’étaient pas vierges (mais qu’est-ce qui est encore vierge à notre époque, je vous le demande) et datant de la machine à écrire mécanique à en juger par les caractères d’imprimerie, portaient le titre d’une pièce de théâtre trop peu connue : Claire. L’histoire relatait la mort d’une personne prénommée Claire en jouant avec le terme clair. Ma sœur devait rendre un travail pour l’école dans un délai devenu habituel : le lendemain. Ce travail devait être une pièce de théâtre sur un sujet libre de toute contrainte. Nicky usa de ses grands yeux bleus à vous convertir le Grand Mufti en personne pour faire vibrer les fibres littéraire et paternelle de son professeur de Papa. Après avoir écrit pour l’héritier du nom la preuve que les Smet n’étaient pas des Wisigoths, il lui était difficile de refuser à sa fille ce qui lui permettrait de briller à nouveau de manière anonyme dans les annales de la Communauté Française pour un écrit hors du commun. Est-ce par respect pour son auteur que Nicky donna ce merveilleux prénom à sa fille cadette ?
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Une petite trompette issue d’un œuf en plastique lui-même provenant d’un œuf en chocolat d’une marque bien connue que je ne citerai pas ici pour ne pas faire ombrage à celle citée plus haut. Ce petit jeu anodin me rappela le surnom que la famille avait trouvé le mieux adapté à Nicky en rapport avec la puissance de ces cordes vocales : Marie-trompette-de-la-ville-harmonie. Je pense que les Bruxellois préfèreraient dormir sur les pistes de Zaventem plutôt que du côté de chez nous. Outre les décibels de ma sœur, il fallait ajouter mes cris de rabatteur de savane lorsque je piquais une de mes crises de colère envers certains de mes camarades de jeux, mes sœurs comprises.
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Le tiroir du buffet allait encore me fournir beaucoup de souvenirs, trésors enfouis dans ma mémoire et d’une valeur non négociable. L’un d’eux était un bout de tissu. Par n’importe quel bout de tissu. Le vêtement dont il était issu avait la particularité, une fois sur ma sœur, de me faire marcher à dix mètres d’elle afin de préserver une certaine image de marque : il s’agissait d’une mini-jupe dont le créateur devait être en manque de fil lors de sa création car elle était si courte qu’on la distinguait à peine de la ceinture (du moins dans mes souvenirs, les chastes coquins). Il faut avouer que les jambes de ma sœur qui avaient été allongées pour pouvoir toucher le sol, étaient particulières. Bon nombre de mes copains d’école ont pris leurs jambes à leur cou pour leur courir après.
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Un monde sans ficelle, c'est le chao disait Rudolf Smuntz dans le film La souris de Gore Verbinski. Mais le bout de ficelle que je rattrape in-extremis du bout des doigts tel le célèbre attrapeur Harry Potter me rappelle les camps dans le chêne et dans le fût de la haie qui l’entoure. Construit avec les vestiges du toit de la remise, avec des cordes à ballot et divers clous récupérés dans le lotissement en construction devant chez nous. Montés et démontés plus avec une grande d’ose d’imagination qu’avec du savoir-faire. Ce mirador surplombait la forêt interdite aux non-membres du club des sourires du Clinchamp. Ce club composé des charmants et innocents enfants du quartier avait répartit ces domaines de jeux extraordinaires tels déli-sort, cache-cache 21, … selon la configuration des jardins et de l’ouverture d’esprit du paternel de chaque membre.
Pour le trio Delvigne (Jean-Louis, Dominique et Frédéric), le jardin était ouvert quand le chef de maison était absent. En hiver, le jardin était une merveille unique dans le quartier pour des glissades en luges à tel point que même les deux voitures familiales de la famille Delvigne l’on essayé.
Pour Vinciane, l’espace de jeux était limité par les quelques mètres qui entouraient la Chapelle Lessire voisine. Il est vrai que le jardin tenait plus du mouchoir de poche et avait juste les dimensions réglementaires pour avoir l’appellation contrôlée de jardin. Mais les parties de déli-sort ne manquaient pas de panaches pour autant.
Cependant, aucun membre ne niera que le jardin de Robert fût de loin le meilleur pour des enfants. Une espace de près de 52 ares peuplé de plus de 600 Picea abies, des épicéas sous les branches desquels nous avons rampés de milliers de kilomètres lors des parties de cache-cache 21.
Les moments les plus merveilleux de mon enfance ont été vécus dans ces lieux avec ces copains d’alors mais je ne vais pas les relatés ici. Non que ce soit indiscret mais cela prendrait trop de ligne et je préfère donner la priorité à Nicky et Cie.
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Un objet insolite attire mon attention : un bouton. A quel vêtement excentrique pouvait-il appartenir ? Après mure réflexion et moultes suppositions, j’ai décrété qu’il provenait d’une des vestes qui ont eu l’insigne honneur d’être porté par Véro. Mais une veste qui a sa petite histoire. Après un retour d’école sans histoire et un passage par une boulangerie pour y faire le plein de pâtisseries offertes par son frère grâce à l’argent des vidanges récoltées pendant la semaine, Véro avait déposé sa veste d’une manière nonchalante sur le divan. Le geste et la manière n’étaient pas répréhensibles en soit, mais l’endroit du dépôt était formellement interdit pour ce genre de chose. Le divan étant un endroit pour poser des séants et non des vêtements. C’est au moment précis où Véro allait se diriger vers la télévision, baby-syter des temps modernes, que la voix du père qui n’est pas impénétrable se fit entendre sur un ton qui était sans équivoque : puis-je savoir ce que fait ta veste sur le divan au lieu d’être rangée sur le porte-manteau ? Nicky qui n’avait pas sa langue dans sa poche lui répondit : je trouve que ma veste est très bien à côté de ton veston ! Sur ce mon père, fit semblant de ne pas entendre cette réponse basée sur une exactitude et à la limite de l’impertinence et se retira dans son bureau jusqu’à l’heure du repas précédent son journal télévisé quotidien.
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Un livre de jeu pour voiture me remémora les supplices que nous infligions à nos parents lors de la plupart des voyages en voiture qui dépassait un certain nombre de kilomètres. Après avoir usé tout le côté zen de sa méditation réalisée à l’aube de chaque jour que Dieu lui donnait de manière à garder un calme olympien pendant les tergiversations et discutions préalables avant toute montées des trésors pour savoir lequel des trois allait passer le trajet au milieu des deux autres, le chauffeur attitré de la voiture familiale (l’autre voiture étant celle de la mère) devait subir des jeux du type il ou elle, oui ou non, … Vous savez ces jeux qui rétrogradent les esprits les plus avancées au stade de cerveau végétatif s’ils sont utilisés de manière abusive.
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Une vielle carte SIM d’un opérateur quelconque dont le nom sera tût car il a refusé de me sponsoriser me fait penser que Véro préfère de loin la communication essesmisque[10] sous forme de vers que la communication orale. Je vous déconseille de lui téléphoner de peur de tomber sur sa messagerie car le texte est aussi incompréhensible que le son en est aigu. Ce qui est grave.
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Un couvercle art-spécial d’un thermo à café me rappelle que Véro qui n’en boit jamais a une petite collection de ces systèmes qui peuvent être considérés comme isolés avec une bonne approximation. Mais ce qui est art a-t-il besoin d’avoir une utilité, la beauté de l’objet à elle seule suffit, surtout si le prix était raisonnable. Dans les collections vas-y-que-je-me-marre, vous pouvez ajouter des cassettes vidéo, des écharpes, des boutons, quelques bandes dessinées et des commentaires.
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Une bobine de fil et une aiguille étaient, si on croit le proverbe Fournir du fil et de l’aiguille à quelqu’un, deux prémisses à la carrière de ma sœur. Donner aux jeunes tous les instruments nécessaires à leur intégration dans une société de plus en plus sans pitié pour ceux et celles qui n’ont pas un minimum d’ambition, tel allait être le but de Nicky. Depuis qu’elle avait vu les notes de son bulletin augmenter de manière non négligeable après avoir étudié le minimum demandé par les parents, ma sœur avait désiré escalader la carrière d’enseignant à pleines mains. Le poids des mots d’un côté et trop souvent le choc des poings de l’autre. Celui qui envie ou critique les enseignants n’a qu’à prendre leur place. Oui, ils ont beaucoup de jour de congés, mais c’est toujours pendant les hautes saisons, les plus chères. Oui, ils travaillent officiellement 8 heures par jour avec des heures de cinquante minutes, mais combien travaille le soir pour parfaire leur système éducatif ? Oui, ils ont un semblant de sécurité d’emploi lorsqu’ils sont nommés, mais ont-ils une voiture de société, des primes de fin d’années, des formations de pointes payées par leur responsable ? Quel est l’enseignant qui peut encore émettre une remarque à un élève sans avoir un avocat sur le dos ou un cutter sous la gorge ? Et ils doivent, en plus, assurer l’éducation générale des étudiants en lieu et place des parents débordés. La société cherche-t-elle à avoir des étudiants qui apprennent des connaissances assimilées au fur et à mesure des générations précédentes ou plutôt des élèves qui, comme le nom l’indique, vont élever le niveau de connaissance de manière continue ?
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Un procès-verbal de police tout chiffonné me rappelle que ma sœur a été prise en flagrant délit de vente prohibé de bijoux sur la côte belge (à l’étranger, dirait mon Père ou dira-t-on sans doute dans un avenir plus proche qu’on ne le voudrait). L’instigateur de cette vente était un certain Marcel. Un être sans scrupule, prêt à envoyer une frêle jeune fille sans défense récolter la richesse des gens du Nord. C’est du moins ce que j’aurais pensé si j’avais été mis au parfum à l’époque. Car je dois avouer que ce Marcel, tiré d’une bande dessinée de Jean-Claude Servais, est quelqu’un de tout-à-fait adapté à Nicky. Calme, serein, qui est à l’écoute et ne parle que si la situation l’exige. Bricoleur et créateur dans l’âme, il a plus d’or dans ses doigts que dans ces poches. Il a le cœur sur la main.
C’est chez lui que Nicky m’a demandé de ramener le buffet, ses tiroirs et mes souvenirs car ils ont choisi de faire vie commune pour une période non déterminée. Mais ceci est une autre histoire.
[1] http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=247823.
[2] Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus, John Gray.
[3] Les souvenirs avec Eva sont relatés dans d’autres lignes regroupées sous le titre De Plume-Plume à Eva.
[4] Mon Père ajoutait qu’avec les pets, au moins, les sourds en profitaient. Mais ceci n’est pas ébruité afin de ne pas ternir la future enquête de sa canonisation qui suivra son pontificat.
[5] "Il est plus important pour l'homme d'avoir raison que d'être dans le vrai"
[6] La méthode est basée sur un postulat simple : celui de la satisfaction mutuelle des besoins. En effet, si j’ai un problème que je ne peux pas exprimer, ou si l’autre à un problème non-exprimé, ou que je ne l’écoute pas, nous ne pourrons pas avoir une vraie communication. Dans la bouche de ma mère, cela devenait : Ne dites pas ta chanson m’énerve mais je suis dérangé par la mélodie diphonique créé par l’effet vibratoire que tu donnes à tes cordes vocales.
[7] Et non cinq cents cloches comme se plaît à le dire son chef de chorale.
[8] Force est de reconnaître que mes géniteurs ont réussi à équilibrer la matière grise et la matière musculaire, ce qui représentait un compromis entre l’espoir de mon père d’avoir engendré un futur prix Nobel et le rêve de ma mère d’avoir un jeune fils blond et sportif.
[9] De fait, j’ai eu le plaisir de croiser quelques années plus tard le Père Noël à Chimay alors que j’allais réceptionner quelques casiers de ce merveilleux breuvage à base d’houblons. Le Père Noël n’est pas une ordure, héros de pièce splendide ou une légende pour tenir les enfants sages, le Père Noël est un père trappiste.
[10] Communication via des SMS (Short Message Service).